Considérée comme étant une importation occidentale qui irait à l’encontre de certaines valeurs africaines, le féminisme semble être un concept méconnu sur le continent. Il s’agirait pour beaucoup d’un néo-phénomène exclusivement réservé aux femmes rebelles qui souhaiteraient vivre un idéal occidental. Pourtant les luttes contre le sexisme et le patriarcat ont existé en Afrique longtemps avant la conceptualisation du féminisme. Des femmes, mais aussi des hommes ont lutté dans l’objectif de révéler tout le potentiel de la femme africaine et de lui donner la place qu’elle mérite.
Le féminisme entendu comme la lutte contre les discriminations faites aux femmes est une conception ancienne en Afrique. Longtemps avant ce que la littérature appelle “la première vague féministe‘’[1] et qui correspond à la reconnaissance de quelques droits notamment le droit de vote aux femmes occidentales dans les 19e et 20e siècles, de nombreuses sociétés africaines avaient déjà accordé une véritable place de choix à la femme.
En Afrique, de l’antiquité à aujourd’hui, des femmes puissantes ont dirigé des royaumes, été des cheftaines de guerres et donc dirigé des armées. La femme africaine antique avait aussi un rôle économique et religieux. Citons par exemple les reines Ndeté Yalla du Sénégal (elle vécut au 19e siècle, de 1810 à 1860), Ranavalona III de Madagascar (elle régna du 30 juillet 1883 au 28 février 1897), la reine Akan encore appelée la mère du peuple Baoulé de Côte d’Ivoire qui vécut au 18e siècle et Ana Nzinga véritable symbole nationale en Angola qui vécut de 1583 à 1663. Cette liste pourrait être complétée par des femmes d’influence telles Efunroye Tinubu (1807-1887) au Nigeria et Nefertiti au 14e siècle avant Jésus-Christ en Egypte. Les responsabilités confiées à ces femmes ne sont pas des rôles de survie mais des rôles importants en ceci qu’elles contribuaient entièrement et pleinement au développement de leur nation respective.[2]
Au Bénin, les très réputées Minon encore appelées les Amazones (17e au 19e siècle) ont été des guerrières d’exception dont « l’incroyable courage et audace » a été reconnu par les envahisseurs français. Et ici encore, l’histoire démontre bien que certaines sociétés africaines confiaient les rôles politiques, de défense nationale, de sécurité aux femmes. C’est en effet, une reine, la reine Tasi Hangbè[3] (ou Nan Hangbe), sœur jumelle du roi Houessou Akaba qui crée le corps des Minon du Dahomey; régiment des Minon qui avait culturellement un caractère très sacré pour le peuple fon. De même, dans les sociétés traditionnelles Lébous du Sénégal, le pouvoir de décisions était exclusivement l’apanage des femmes.
Cet ensemble de faits, prouvés, documentés révèlent bien que les femmes avaient un véritable pouvoir politique, culturel et économique dans l’Afrique ancienne. C’est d’ailleurs pourquoi Cheikh Anta Diop, dans L’Unité culturelle de l’Afrique noire, affirme que “les sociétés africaines étaient essentiellement matriarcales.”[4]
Dans l’Afrique contemporaine, la place et le rôle des femmes évoluent également. Dans de nombreux pays comme le Sénégal, le Soudan Français (Actuel Mali), la Guinée, l’Angola, le Nigéria, etc. des femmes ont été, déjà dans la décennie 1930, cheffes d’institutions, grandes banquières et bénéficient de leurs droits sociaux, économiques et politiques au même titre que les hommes. De nombreuses femmes étaient des pionnières et ont occupé les places de médecins, de maires, d’institutrices ou de journalistes comme les dames Madeleine Ly, Marie Madoé Sivomey, Jeanne Martin Cissé, Sita Bella.
Loin des clichés d’hommes africains qui seraient par essence patriarcaux, la défense des droits des femmes en Afrique a connu la participation d’hommes et de leaders de grande renommée. Le Président Sankara, dont le nom a refait l’actualité avec la condamnation de Blaise Compaoré pour son assassinat, en a par exemple fait un des éléments essentiels de la révolution populaire du Burkina : “Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. Pour ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes les suggestions du monde entier nous permettant de parvenir à l’épanouissement total de la femme burkinabè. En retour, nous donnons en partage à tous les pays l’expérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de l’appareil de l’État et de la vie sociale au Burkina Faso” dixit Thomas SANKARA dans son ouvrage ‘’ L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique.’’[5]
La pleine participation de la femme dans la vie sociale, économique, politique n’est donc pas un acte de compassion pour Sankara mais un impératif catégorique pour l’évolution politique, économique et sociale de l’Afrique. Car, il est convaincu que la révolution et le féminisme vont de pair et a ainsi pris une série de décisions afin de rendre la femme burkinabé plus autonome et plus épanouie. Sankara estimait que “ les femmes ne peuvent pas être tenues à l’écart de notre révolution, et tout ce que nous faisons aujourd’hui vise à les libérer. Mais c’est très difficile, car les femmes sont dominées par des hommes eux-mêmes dominés. Elles sont doublement dominées.’’ [6]
Pour ce faire, le président Sankara prendra des mesures nouvelles afin de garantir un salaire égal aux femmes et aux hommes, instituant une journée du marché masculin et introduisant des femmes dans les plus hautes instances de décision Burkinabè. C’est la preuve que la lutte pour la fin des discriminations dont sont victimes les femmes a également connu le soutien d’hommes en Afrique.
Au final, il est important de se rappeler que la question féministe en Afrique n’est pas un effet de mode, mais une question culturelle. Le féminisme africain est ancien et n’a pas attendu le mouvement féministe actuel encore moins occidental. Mais alors que l’Afrique a un passé féministe si bien ancré, de grandes femmes cheffes de royaume, de grandes icônes à la tête de sa défense, des institutrices, médecins, nous faisons face à un présent où il est contesté. Est-ce une régression dans l’évolution afro-féministe? Est-ce que la question du mâle est mal posée dans le féminisme actuel? Que faire pour corriger cet état de fait ?
Par Mario Aouga & Emyloïa Kpadonou
[1] La première vague féministe correspond à une période de l’histoire du féminisme occidental qui va des années 1850 à 1945.
[2] Pour mesurer la place de la femme dans certaines sociétés africaines, il faut se rendre compte qu’un adage malien disait « tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons, nous le devons une fois seulement à notre père, mais deux fois à notre mère »
[3] La reine Tasi Hangbè prit la succession de son frère sur le trône et régna sur le royaume du Dahomey au 18e siècle, de 1708 à 1711
[4]Diop (Cheikh Anta), L’unité culturelle de l’Afrique noire, Présence africaine, Septembre 1982, 219 pages
[5]Sankara (Thomas), L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique, Pathfinder, Juin 2008, 72 pages
[6]Thomas Sankara dans un entretien accordé au célèbre cinéaste René Vautier, en Juillet 1984.
34 Commentaires.
Interressant
Merci de votre commentaire M. Adeleye. C’est bien de vous lire
Voilà un article bien rédigé sur le phénomène du féminisme sur tous les aspects à l’exception de la religion.
Ma préoccupation serait de savoir si
La religion n’est elle pas peut être une cause de non libération des femmes ou un frein au droit des femmes ?
Je tiens à saluer de passage les auteurs de l’article.
Merci beaucoup.
Bonjour M. Boukary. Merci de votre commentaire. En effet, certains passages religieux ou leur interprétation sont de nature à retarder l’émancipation des femmes. Néanmoins, il nous parait essentiel de passer au delà des interprétations littérales de ces passages et de comprendre que la femme émancipée est la clé car le développement de l’Afrique ne pourrait se faire sans plus de la moitié de sa population. Et vous, qu’en pensez vous ?
très interessant comme article pour amener à refléchir sur le féminisme en Afrique. Je suis curieuse de savoir ce que les lecteurs/trices pensent du féminisme en Afrique
Bonsoir Mme Nicole. Merci de votre commentaire. Nous partageons votre enthousiasme et espérons vivement de savoir ce que nos ami(e)s lecteurs(trices) pensent du féminisme.
Well written
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Très pertinent et très instructif.
J’espère que dans un futur proche, les femmes africaines seront totalement reconnues dans leur droit.
Bonsoir M. Gautier. Merci de votre commentaire. Nous espérons également.
Pour y parvenir, il semble important de repasser le passé de l’Afrique qui avait dejà fait une place de choix à la femme. Il faudra ensuite chercher et comprendre les raisons profondes de la situation actuelle des femmes, créer le débat, travailler à l’emporwement des jeunes filles et des femmes. Notre organisation s’est inscrite depuis longtemps dans cette dynamique à travers les différents projets dont le projet Mino 100% féminin.
Pour ma part ,La femme est depuis la nuit des temps le socle de toute civilisation. Des personnes avisées effacent une civilisation en s’attaquant aux femmes, en jouant sur leurs ego, tel est le but dernière le féminisme tel que présenté aujourd’hui.
Le concept “afro-feminisme” est pour moi du conformisme flagrant.
Le féminisme trouve ces racines dans le capitalisme, raison pour laquelle le féminisme est présenté comme étant la batail des positions , des titres, des salaires , d’égalité, perdant ainsi son sens fondamental ” la cohésion ,la complémentarité dans une société pérenne pour le bien être commun”.
Sans la femme , l’homme est inutile, et ce n’est pas du féminisme mais c’est un fait, parce que tout ce qui tombe dans dans la main d’une femme est emplifié.
Dériver du féminisme pour aboutir à “l’Afro-féminisme” c’est méprendre deux civilisation sur fond de paradigme fondamentalement different.
La meilleure façon de vendre une idéologique a un peuple c’est de le lui présenter comme déjà existant chez lui.
Entant que noire Africain, il faudra prendre de la hauteur, et nous poser des questions profondes car les questions sont les réponses.
Bonjour M. Aftal. Merci de votre commentaire. Il est intéressant et montre à souhait que vous êtes profondément féministe: ” La femme est depuis la nuit des temps le socle de toute civilisation “; ” tout ce qui tombe dans dans la main d’une femme est amplifié “; etc. Ces bouts de phrases expriment ce que nous pensons: la femme a un véritable rôle à jouer dans le développement de notre continent et ce n’est pas en la reléguant dans les seconds rôles qu’elle y parviendra. Les sociétés africaines anciennes l’ont bien intégrée et ont fait en conséquence une place intéressante aux femmes. Par delà les critiques du mouvement actuel (fondé ou non), il nous semble important de montrer que l’Afrique a compris et essayer de corriger la situation actuelle faite aux femmes en Afrique. Merci une fois encore pour votre commentaire.
Article très intéressant
Merci pour votre commentaire. Nous somme curieux de voir ce que vous pensez de notre article sur Thomas Sankara qui est tout aussi intéressant.
Waouh
Nous avons eu la meme réaction en rédigeant l’article et en découvrant lors de nos recherches l’impact que les femmes ont eu sur nos sociétés.
C’est un article vraiment intéressant, et instructif. Ce serait vraiment bien si nous pouvons avoir des commentaires féminin sinon pour ma part les femmes africaines occupent une place importante dans toutes civilisations.
Merci Mr KOUDOGBO pour votre retour, nous vous suggérons de partager le lien de l’article aux femmes de votre entourage afin que nous puissions avoir aussi le leur.
C’est vraiment instructif comme article, on apprend beaucoup plus sur le rôle des femmes au temps de la royauté africaine.
En effet Mme Yna, les femmes participaient activement aux prises de décisions et ne se contentaient pas d’être de simples spectatrices. Nous avons aborder dans l’article les accomplissements de la reine Tasi Hangbè qui est d’ailleurs sur le point d’obtenir la reconnaissance qu’elle mérite avec un monument qui est entrain d’être érigé en son honneur.
Article bien rédigé.
Les femmes on toujours occupé des grandes positions dan toutes les civilisations mais la nature en elle même veut qu’elles fassent le double de ce que les hommes font pour occuper ces positions.
Effectivement, l’importance des femmes dans nos sociétés n’est plus à prouver. Mais est ce la nature la veritable responsable des discriminations auxquelles les femmes font face de nos jours?
D’entrée, je tiens à vous remercier pour le temps que vous avez mis pour rédiger ce présent article et l’intérêt que vous accordez à la question relative au féminisme.
J’ai pris mon temps à lire et relire votre article intitulé ” Le féminisme à l’africaine existerait-il ?”. De cette lecture, j’ai retenu que la lutte contre la discrimination des femmes ne date pas d’aujourd’hui, c’est une lutte qui existe depuis longtemps. Cette lutte a connue aussi bien la participation des femmes que des hommes, qui étaient des personnalités célèbres.
Selon l’article, alors que l’Afrique a un passé féministe si bien ancré, de grandes femmes cheffes de royaume, de grandes icônes à la tête de sa défense, des institutrices, médecins, nous faisons face à un présent où il est contesté. Vous vous demandez alors est-ce une régression dans l’évolution afro-féministe? Est-ce que la question du mâle est mal posée dans le féminisme actuel? Que faire pour corriger cet état de fait ?
Pour répondre à la première question, je pars du fait que, de nos jours les voix s’élèvent un peu partout pour contester la domination des hommes sur les femmes ; la création des associations et organisations nationales international qui oeuvrent dans la lutte contre la discrimination des femmes, pour dire qu’il a pas une régression. Mais, malgré l’existence de ces organisations, force est de constater que l’égalité des sexes n’est pas encore effective en Afrique. En dépit des dispositions prises par les gouvernants africains, pour renforcer l’arsenal juridique destinée à promouvoir et protéger la femme contre les infractions commises sur des bases sexuelles, les statistiques montrent bien que l’égalité des sexes n’est pas vécue dans la réalité. Je prends le cas de notre pays le Bénin, le Bénin dispose d’une fonction publique à dominance masculine soit 73,23% d’hommes contre 26,77% de femmes.
Les femmes, en plus d’être minoritaire par leur effectif, ont par rapport aux hommes, un accès inégal aux postes de responsabilité..
Toujours au Bénin, selon l’INSAE, les femmes représentent plus de 52% de la population béninoise.
Cette supériorité numérique des femmes n’est pas du tout ressentie dans les organes de décisions de notre pays malgré les discours flatteurs des autorités politiques à leur endroit.
Bien que les femmes aient une nature et des caractéristiques physiologiques et psychologiques différentes de celles des hommes, cela ne procure à l’homme aucune supériorité sur la femme, ou inversement. On peut comparer la femme à l’homme à l’azote et l’oxygène de l’air comme le faisait remarquer le célèbre écrivain islamique, M. Fethullah Gülen dans son livre parole et pouvoir d’expression. Pour lui, les deux sont vitaux en termes de rôle et de fonction spécifique, et on a autant besoin de l’un que de l’autre. Comparer l’homme et la femme est aussi absurde que d’opposer les substances qui composent l’air, en disant des choses comme : «L’azote a une valeur supérieure» ou «L’oxygène est plus bénéfique». En fait, homme et femme sont identiques pour ce qui concerne leur création et leur mission en ce monde, et sont comme les deux visages d’un tout, qui ont besoin de l’un et de l’autre.
Bonsoir M. Arafat. Merci pour votre commentaire; fouillé, documenté, détaillé. Vous nous donné des chiffres qui nous interpelle et qui nous reconforte dans le fait qu’il est aujourd’hui important de renforcer les compétences des femmes à travers des formations au leadership, des centres de réflexion et des moments de discussion. Notre organisation est dans cette dynamique.
Intéressant article qui m’édifie davantage sur l’historique du féminismes en Afrique. Me fondant sur cette chronologie, je pense que la Femme est pouvoir qui sommeil que l’on a besoin de réveiller à travers le rappel des exploits de leurs prédécesseurs reines et cheffes de tribus.
Bravo aux auteur!!
Nous sommes totalement d’accord avec vous Mr Abdoul Boukari, nous avons malheureusement pas pu tout mentionné dans notre article, nous espérons toutefois que cela vous poussera à mieux vous renseigner sur le sujet afin de pouvoir partciper activement par la suite à lutter contre les discriminations faites aux femmes.
D’abord,je me sens bien de savoir qu’à travers cet article, il est démontré que le féminisme n’est pas une affaire importée.
Ensuite qu’être féministe,n’est pas une déclaration de guerre aux hommes,mais plutôt ressortir l’aspect la complémentarité entre homme et femme
Merci de votre commentaire M. Houessou.
Merci Mme Batista pour votre commentaire, nous sommes heureux de constater que vous avez compris le message que nous essayons de faire passer.
Très belle article, le féminisme en Afrique loin d’être un nouveau concept existait depuis et comme plusieurs autres concepts commme le développement durable et la protection de l’environnement, il est tant de révéler à la face du monde que l’Afrique a toujours inspiré le monde et que les plus grands concepts sont africains. Merci aux auteurs de cette belle œuvre.
Merci pour votre commentaire il est effectivement temps que nous menons des actions concrètes afin de dementir certaines idées reçues.
Je trouve l article assez intéressant et je tiens à féliciter le travail de recherche des auteurs de ce dernier,
Merci pour votre retour.
C’est très bien…. Moi je pense que sa aiderai et que c’est très instructif